Cette conférence a été délivrée dans le cadre de la soirée-débat organisée par les IPSO, et intitulée : “Le développement local d’un Québec souverain : perspectives de décentralisations” (10 mars 2022)
Introduction
Puisque je suis le premier intervenant, il m’incombe le soin de présenter ce sujet fondamental lorsqu’il faut imaginer ce que pourrait être un Québec indépendant. En effet, la décentralisation et la déconcentration sont des principes qui ont trait à la distribution et à la répartition des compétences entre un organe central (par exemple l’État) et des organes non-centraux (par exemple les régions). Il s’agit bien plus que de politiques publiques, mais de la construction des territoires et de la forme concrète que prend l’État.
Ainsi et dans une première partie, je vous présenterai le modèle québécois de décentralisation. Puis dans une deuxième partie, je me risquerai à ce travail prospectif en imaginant comment les pouvoirs locaux pourraient être organisés.
Le modèle québécois de décentralisation
Habituellement, la décentralisation est définie comme le processus qui consiste à transférer des compétences de l’État vers des entités locales distinctes de lui, tandis que la déconcentration est le processus qui consiste à implanter des administrations étatiques dans des territoires. Ce sont donc deux démarches distinctes.
En Europe, les processus de décentralisation et de déconcentration ont été menés afin de renforcer les territoires, notamment pour affirmer la démocratie locale, pour faciliter la prise de décision au plus près du terrain, pour renforcer parfois la présence de l’État ou – inversement – autonomiser des territoires.
Au Québec, la décentralisation a privilégié afin d’initier le développement économique des territoires, lequel repose sur :
- des synergies locales et régionales (d’où la décentralisation);
- des relations interrégionales à l’intérieur du Québec (d’où une politique des villes et régions);
- une activité des régions à l’échelle internationale. (Proulx 1995, 155)
À vrai dire, cette distinction est très fortement liée à la construction du territoire.
L’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie ou le Royaume-Uni ont des identités locales très marquées. Même si la Révolution française et les diverses unifications ont cherché à détruire ces particularismes pour qu’elles ne concurrencent par la nation hégémonique, force est de constater leur résilience comme c’est le cas pour l’Alsace, la Bretagne ou la Corse si on ne parle que de la France. De même, les collectivités territoriales françaises sont perçues comme des contre-pouvoirs, des lieux de démocratie, face à un arbitraire exercé par l’État central. On retrouve le même phénomène dans toute l’Europe occidentale.
Au Québec, s’il existe également des identités locales marquées comme l’Outaouais, la Beauce, le Lac-Saint-Jean, voire même Montréal, les revendications territoriales se limitent aux questions de développement économique (Dionne et Klein 1993, 231). Ainsi et depuis les premières mesures de décentralisation suite à la Révolution tranquille, la décentralisation s’est longtemps réduite à une relation descendante (top-down) où l’État central concède des moyens financiers aux territoires. Si depuis 2003, on assiste à une volonté de renforcer la démocratie locale ou d’offrir davantage d’autonomie aux régions, communautés et municipalités, les politiques de décentralisations demeurent hors sol : ne prenant pas en compte les citoyennes et citoyens, restant largement déconcertées et accentuant les disparités en territoire. Le modèle québécois est ainsi plus centralisateur que dans certains pays qui le sont, notamment si on le compare avec la France.
Comment organiser les pouvoirs locaux ?
Avant d’aborder des scénarii pour envisager une meilleure organisation des pouvoirs locaux, je me suis questionné sur ceux privilégiés par les partis souverainistes. Sans grande surprise, ces derniers abordent très peu les questions attenant à la décentralisation et à la déconcentration. « Sans grande surprise » car, en effet, le Parti québécois (PQ), le Bloc québécois (Bloc) et Québec solidaire (QS) reproduisent et questionnent peu le modèle existant.
Ceci pour deux raisons : 1) comme je le mentionnais précédemment, les revendications territoriales se limitent bien souvent à des questions de développement économique par ce que les pouvoirs locaux n’ont pas les compétences d’exiger autre chose ; 2) décentraliser au profit des territoires, c’est également amoindrir le poids et les compétences de Québec face à Ottawa. Il faut donc penser à un aménagement institutionnel qui, à la fois, émancipe les territoires et renforce la construction nationale.
À mon sens, l’équilibre parfait entre ces deux impératifs se trouve dans le principe de subsidiarité. Il est défini comme suit dans la législation québécoise :
« Subsidiarité : les pouvoirs et les responsabilités doivent être délégués au niveau approprié d’autorité. Une répartition adéquate des lieux de décision doit être recherchée, en ayant le souci de les rapprocher le plus possible des citoyens et des communautés concernés »
(Loi sur le développement durable, art. 6.g.)
Néanmoins, ce principe exige – pour être effectif – des autorités réelles, c’est-à-dire muni de pouvoirs décisionnels. Dans un livre intitulé Pour une décentralisation démocratique, publié par Solidarité rurale du Québec aux Presses de l’Université Laval en 2006, des experts concluaient la nécessité de replacer les citoyennes et citoyens au centre notamment en créant des gouvernements locaux et en leur allouant des ressources pour mener des politiques locales.
J’ajoute que bien des exemples de démocratie participative appliquée à la décentralisation ont démontré une forte implication citoyenne et ont nourri un certain sentiment d’appartenance. Je ne citerai ici que l’exemple de Barcelone. La capitale de la Catalogne a associé et impliqué depuis longtemps le tissu associatif dans la décision, facilitant ainsi la création d’espaces de dialogue (Blakeley 2007). Cette initiative a permis que Barcelone soit l’un des rares exemples d’interculturalisme.
Autre principe qu’il faudrait probablement garder à l’esprit : le principe de polycentrisme. Président de la Région Alsace pendant plus d’une décennie, Adrien Zeller appartenait au nombre de ces tribuns locaux comme les régions avec un fort particularisme savent en produire. Dans un livre intitulé : La France enfin forte de ses régions, il proposait une « interrégionalité des coopérations, des structures et des actions menées à l’échelle de plusieurs régions » (2002, p. 169), basée sur un « polycentrisme [qui] fonctionne par relations de coopération ou de concurrence, et non par subordination systématique » (Ibid., p.202). Autrement dit, Adrien Zeller souhaitait que la coopération interrégionale se substitue à un centralisme arbitraire. Il y a dans ce principe ceux de solidarité et de proximité.
Conclusion
Néanmoins, il ne s’agit pas de reproduire arbitrairement ce qui existe ailleurs en espérant que ça fonctionne ici. À mon sens, une décentralisation réussie est celle qui interroge le territoire. On pourrait alors penser à une décentralisation asymétrique, offrant plus ou plus de compétences aux régions, communautés et municipalités en fonction de leur nature, de leur histoire et de leurs spécificités. Ce sera là un pas important vers une maturité institutionnelle, mais plus encore un geste d’émancipation en lui-même puisque le Québec échapperait au modèle colonial qui l’a façonné.
Bibliographie
- Blakeley, G. 2005. Local Governance and Local Democracy: The Barcelona Model, Local Government Studies, 31 (2), 149-165.
- Dionne, H., Klein, J-L. 1993. La question régionale au Québec contemporain. Cahiers de géographie du Québec, 37 (101), 219–240.
- Proulx, P.-P. 199). La décentralisation : facteur de développement ou d’éclatement du Québec. Cahiers de recherche sociologique, 25, 155–180.
- Solidarité rurale du Québec (dir.). 2006. Pour une décentralisation démocratique. Québec : Presses de l’Université Laval.
- Zeller, A. 2002. La France enfin forte de ses régions. Glossaire engagé de la décentralisation. Paris : Gualino Éditeur.